DJA'DE EL MUGHARA (SYRIE)


Un village du 9e millénaire avant notre ère
dans le contexte de la Néolithisation du Proche Orient
conférence d'Eric Coqueugniot, UMR Archéorient,
Maison de l’Orient et de la Méditerranée,
7 rue Raulin, 69007 LYON – FRANCE


Situé en rive gauche de l’Euphrate, à 115 km au Nord-Est d’Alep, au contact entre la vallée et la steppe de Djezireh, le tell néolithique de Dja’de a livré des niveaux archéologiques qui datent pour la plupart du 9e millénaire avant notre ère (dates radiocarbone calibrées), durant le Néolithique précéramique (Pre-Pottery Neolithic [phases dites PPNA final et PPNB ancien]). Les établissements de cette période, comme ceux de la phase précédente (celle du Mureybétien de Mureybet et de Jerf el Ahmar), présentent un intérêt majeur car ils sont au cœur du long processus de passage d’une économie de chasseurs-cueilleurs, de prédateurs, à une économie d’agriculteurs éleveurs, l’occupation de Dja’de correspondant à la fin de la période de gestation, d’invention. La compréhension de ce passage est de première importance car c’est lui qui a ensuite permis le développement des villages sédentaires, puis des civilisations Proches Orientales, ainsi que la diffusion du Néolithique notamment vers l’Europe.
Sépulture collective
Les niveaux archéologiques mis au jour sont particulièrement riches, tant pour ce qui concerne les techniques (outillages lithiques, techniques de construction…) que pour les indices relatifs à l’organisation sociale (pratiques funéraires et « maison des morts », restes de repas collectifs [festins], chasses collectives, grand bâtiment communautaire semi-enterré…) et à l’état sanitaire d’alors (plus ancienne attestation de tuberculose, une maladie dont l’origine est souvent considérée comme liée au début de la domestication des bovins). La réflexion sur les modes de vie est elle aussi centrale, avec notamment la question de la sédentarité totale ou plus probablement partielle (semi- nomadisme), nonobstant le fait que nous sommes dans un village aux architectures régulièrement entretenues (continuité ne signifie pas permanence).

Crâne d'auroch
Dja’de est le seul site du Levant nord qui couvre la totalité du 9e millénaire et l’épaisseur des niveaux archéologiques (entre 6 et 9 m selon les secteurs) a permis de mettre en évidence une sériation fine qui conduit à remettre en question la hiérarchie des changements culturels. Dja’de présente en effet une évolution progressive, graduelle, depuis la fin du PPNA (Pre-Pottery Neolithic A) jusqu’à la fin du PPNB ancien. Nous avons ainsi observé une évolution continue, sans rupture ou palier majeur, et non pas un changement culturel comme le sous-entend le changement de dénomination entre PPNA et PPNB, ni même une « phase de transition » entre ces deux « cultures ». Replacé dans le contexte régional, la séquence archéologique de Dja’de montre que la dichotomie PPNA-PPNB ne correspond pas à un changement de culture. A contrario, il apparaît un palier majeur entre le PPNB ancien et le PPNB moyen (présent sur le site proche de Haloula fouillé par une équipe espagnole), et ceci tant sur le plan de l’architecture (organisation spatiale, techniques de construction…), que de l’économie, des manifestations symboliques (pratiques funéraires, parure, multiplication des figurines animales et anthropomorphes…)… La sériation établie pour Jéricho dans les années 1950 (puis étendu à tout le Proche-Orient) apparaît donc de plus en plus comme un cadre chronologique commode, mais trompeur dans la mesure où il donne l’illusion de changements culturels là où ils n’existent pas…

Les plus anciennes peintures murales
du proche-orient, datant de 11000 ans.
Ce sont des motifs dont on ne
connait pas encore la signification.
La découverte patrimoniale la plus spectaculaire concerne un bâtiment à usage collectif (bâtiment communautaire)  datant d’il y a 11000 ans. Ce bâtiment subcirculaire semi-enterré (diamètre interne de 7,50 m environ) présente plusieurs massifs radiaires sur lesquels ont été mis au jour des peintures géométriques polychromes —les plus anciennes connues au Proche-Orient— préservées sur près de 1,80 m de hauteur. Pour un de ces massifs, les peintures ont pu être déposées, consolidées, transférées sur un support pérenne et transportées en 2010 au musée d’Alep.